samedi 18 décembre 2010

Le retour de l'Eurodance : comment et pourquoi

Rihanna se met à l'Eurodance, fais gaffe Cascada!
Un de mes péchés mignons sur Grooveshark ou Spotify, c’est de mettre les 20 ou 30 morceaux les plus écoutés et constater l’état de la pop music à un instant T. C’est de cet instant T que j’aimerais parler aujourd’hui.
Cela fait déjà des semaines que je soule mon entourage (collègues de bureau compris) à répéter que l’Eurodance est de retour. Et pas le petit come-back par la porte de derrière la discothèque de province... Le vrai retour en grâce, celui qui se chiffre en milliers de rotations FM et millions de vues sur Youtube. De Lady Gaga à Rihanna, tous s’y mettent!

Sans commentaire...
L’Eurodance est un genre musical à la fois complexe et simple. Complexe car il s’est construit sur la longueur, tout au long des années 90 (de Haddaway à Aqua en passant par Corona et Gala), en incorporant au passage des éléments issus de nombreux autres styles voisins (Techno, Trance, House voire même Hip-Hop et R’n’B). Simple car l’Eurodance est musicalement basique : un énorme beat, quelques synthés, une chanteuse qui gueule des paroles célébrant l’amour ou la fête, un BPM à 130-140 et c’est parti.

Avant tout, il faut savoir que le retour de l’Eurodance se profile depuis cinq ans. Si on en a moins entendu en France à partir des années 2000, le genre n’a jamais disparu : il s’est plutôt décliné en sous-genres comme l’ "Eurotrance" ou le "Handsup", qui mettaient de côté certains éléments vieillots tout en conservant voire accentuant le même esprit fêtard. A partir de 2004-2005 quelques morceaux typiques de l’Eurodance sortent des clubs pour devenir des succès grand-public, et 2006 voit carrément l’explosion d’une nouvelle Eurodance plus simpliste que jamais (Dragostea Din Tei de O-Zone, Everytime We Touch de Cascada, Boten Anna de BassHunter, plus tard réenregistrée en Now You’re Gone... enfin vous voyez le topo).
J’ajoute qu’à la même époque, le monde de la musique indépendante est traversé par le mouvement nu-rave/fluokid, qui célèbre l’esprit «fin de siècle» des années 80 et l’esthétique visuelle et musicale des années 90... y compris le son dégueu de l’Eurodance, qui redevient soudainement hype.

Vous allez me dire "Super ton petit cours sur l’histoire de l’euro-soupe Louis, mais ça n’explique pas pourquoi en 2010 on en bouffe dès qu’on zappe sur Direct Star".
C’est parce qu’il nous manque encore un élément, et pas le plus évident.

En fait, pour expliquer le retour mondial de l'Eurodance, il faut faire un détour par le Rap US. Au début des années 2000, un sous-genre du hip-hop émerge dans le sud des Etats-Unis : le crunk. Le crunk, qui est un exemple typique de "ghetto music", et dont le meilleur représentant reste Lil’ Jon associe au rap le plus débauché possible des instrumentaux électro basiques et catchy... Le crunk est vite populaire chez les amateurs de rap, mais ne devient réellement mainstream qu’en 2006, avec Yeah! de Usher (produit par Lil’ Jon lui même), énorme succès s’il en est. A partir de là, les morceaux à forte teneur en synthé se multiplient. 2006 et 2007 apparaissent comme des années charnières pour le rap et le R’n’B US, qui incorporent alors toujours plus d’éléments clubbing (cf. SexyBack de Justin Timberlake ou Stronger de Kanye West).

Nous voilà donc devant deux tendances musicales qui montent de part et d’autre de l’Atlantique. D’un côté l’Eurodance au son toujours plus putassier, de l’autre le crunk -et par extension tout le Rap et le R’n’B US- qui harangue les danseurs à grands coups de "Put you hands up" et d’instrus bien "phat". Les deux genres partagent la même obsession pour les mélodies simples et accrocheuses, un caractère ouvertement hédoniste (le crunk est très porté sur l’alcool et le sexe) et une volonté de rassembler les foules.

La collision entre R'n'B/Rap/Pop et Eurodance a lieu en 2008, et d’une manière assez spectaculaire. Le rappeur T.I. reprend carrément la phrase musicale de Dragostea Din Tei (dans Live Your Life) tandis que Flo Rida sample I’m Blue de Eiffel 65 l’année suivante (dans Sugar). Je pense qu’en découvrant les classiques de l’Eurodance les rappeurs US ont dû avoir le sentiment de tomber sur une mine d’or...

Depuis, les morceaux de Rap, R’n’B ou tout simplement Pop avec des influences Eurodance sont légions, de Lady Gaga (Bad Romance, inspirée de l’aveu même de la chanteuse, de la techno allemande et des pays d’Europe centrale) à Rihanna (Only Girl) en passant par Ke$ha (TiK ToK, We R who we R), Taio Cruz (Dynamite) ou Katy Perry (Firework, actuel n°1 au Billboard)... Mais le morceau le plus symptomatique et qui m’a poussé à écrire cet article, c’est Yeah 3x de Chris Brown. Le titre en question rassemble tout les caractéristiques de cette nouvelle donne pop : apologie de la fête, passages où "tout le monde chante ou met les mains en l’air", et surtout un instrumental bien lourd directement samplé sur un gros succès Eurotrance du début des années 2000 (Heaven de l'Espagnol DJ Sammy) et déjà réutilisé par Calvin Harris l’année dernière (dans I’m Not Alone)...

Bon j'ai fait une frise chronologique pour simplifier la chose (cliquez pour agrandir) :

(ça ne se voit pas mais j'ai mis 1h à faire ce truc)

Pourquoi ce tsunami Eurodance?

Une explication plausible serait la peur de l’avenir que ressentent les plus jeunes représentants de la Génération Y (nés entre la fin des 80s et 1995), en particulier depuis les prémisses de la crise économique, en 2008. Cela les conduirait à privilégier l’escapism et donc une pop dépouillée de ses dernières prétentions artistiques si ce n’est celles -très louables au demeurant- de mettre du baume au coeur (Katy Perry vocifère «Baby you’re a firework/Come on show them what you’re worth») ou de se vider la tête (Ke$ha : «We’re dancing like we’re dumb/Our bodies getting numb/We’ll be forever young»). Si l’on ajoute à cela une certaine nostalgie des années 90, décennie qu’ils rattachent à une enfance forcément regrettée, on voit bien que le retour de l’Eurodance serait une réaction logique à la morosité ambiante. Mais cette explication me paraît trop simple pour être suffisante.

En réalité, je me demande s’il ne faut pas voir dans cette tendance la traduction "artistique" (lol) de la montée des réseaux sociaux tout au long des années 2000. Marquée par l’explosion du web 2.0, la dernière décennie a été placée très tôt sous le signe du partage et de la sociabilité. Avec l’apparition des réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, c’est toute une nouvelle conception du monde qui semble avoir émergé en une dizaine d’années dans nos sociétés occidentales. Rapport à l’information, à la culture, aux marques, à la vie privée... Tant de choses ont été bouleversées, alors pourquoi pas la pop music?

Parce que toi oci tu kiff tro qd I Gotta Feeling passe en soiré mdr.
A mon sens, les années 2000 ont ouvert une "ère sociale", caractérisée par un besoin exacerbé de partager —non pas au sens collectiviste, mais sur un mode hyper-hédoniste. Et c’est là que l’Eurodance intervient. Avec ses mélodies universelles, ses beats primaires qui prennent aux tripes et son insouciance affichée, elle est redevenue essentielle. Certes, la pop a de tous temps rempli cette fonction de "fun". Cependant, les chansons qui sortent en 2010 sont toutes explicitement conçues pour favoriser la communion. J’insiste bien sur le terme de communion : pour le comprendre, il suffit d’écouter I Gotta Feeling des Black Eyed Peas, une chanson qui, artistiquement parlant est d’une platitude criminelle, mais qui contient tellement de "hooks" euphorisants et de passages à reprendre en choeur entre amis qu’elle en devient objectivement géniale (d’un point de vue marketing).

Beaucoup de morceaux de pop incluant des éléments d’Eurodance fonctionnent exactement sur le même principe, très efficace, de rassemblement, et seraient donc autant d’hymnes d’une génération qui ressent le besoin de toujours plus extérioriser et communier.

Qu’en pensez-vous?

8 commentaires:

  1. Super article Louis ! Je me coucherai moins bête ce soir ! ^^

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  2. Pourquoi eurodance, j'avais toujours appelé ça de la dance. ça fait un peu nom scientifique à mon gout, eurodance, au début je pensais qu'on parlais pas de la même chose. Sinon, bon article, comme d'hab. Tu sais que c'est drôle, je me faisais la même reflexion sur le retour ... du folk. À Londres, je trouve qu'il y a de plus en plus de soirées folk avec des guitares des banjos des accordéons, de l'ale et du cidre; dans des squatt ou autres petits bars, et au début je me disais que ce n'était que moi et mon cercle d'amis pour aller dans des soirées comme ça. Mais surprise, il y a quelques jours, qu'entends-je sur inter... Les jeunes parisiens vont de plus en plus nombreux au bal folk danser la bourrée et le gavotte. Pourquoi? Pour moi, c'est la même idée, rassemblement, communion. Bon alors, c'est sur c'est moi sex que Rihanna, mais en tout cas c'est simple,sympathique et rafraîchissant. Comme l'eurodance.

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  3. Merci beaucoup JD pour ton commentaire! Je n'étais pas au courant de ce retour du folk mais ça ne m'étonne pas :)

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  4. Très bonne analyse Louis ^^
    Merci
    Oli...(du service courrier :p)

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  5. Très bonne analyse et j'aime bien les explications avancées.

    J'en ai une autre hypohèse : il y a des cycles de tendances musicales d'une vingtaine d'années, le temps que les artistes grandissent et recrachent ce qu'ils ont écouté pendant leur jeunesse.
    Si on regarde la house des années 2000 (voire fin 1990s), une énorme quantité de morceaux s'inspire de la disco de la fin 70s - début 80s !

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  6. Merci :)
    L'analyse au travers du prisme des influences qui se font sentir par cycles est très bonne!

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